École numérique et confinement : le cas d’école de l’application Klassroom

Le confinement et l’impréparation du ministère en matière d’éducation numérique font les beaux jours d’EdTech France. Ce label désigne les startups qui s’affairent à une « révolution » : « mettre la technologie au service de l’éducation ». Il serait intéressant d’examiner le fonctionnement de toutes ces entreprises (EdTech France compte plus de 250 membres) mais nous allons nous intéresser plus particulièrement à Klassroom.

Klassroom, cheval de Troie d’une école capitaliste

Klassroom est une application payante qui se vante de « réinventer la communication entre les enseignants et les parents ». Elle a été créée par une startup du même nom en 2016 par deux personnes qui voulaient s’investir dans la scolarité de leur enfant. L’application est disponible sur le web et sur smartphone et se présente comme une application gratuite. Mais cette gratuité est de façade puisqu’il s’agit d’une stratégie commerciale bien connue du secteur numérique appelée « freemium » : attirer des clients pour un produit de base gratuit mais réserver des fonctionnalités à une version payante (24/an dans le cas de Klassroom). Le coût de l’abonnement peut être supporté par l’école ou par les parents. La version gratuite ne vous permet qu’un accès limité sur votre téléphone, vous pouvez uniquement consulter le dernier article publié par l’enseignant. La version payante vous donne droit à des avantages exclusifs. À chaque consultation de l’application on vous rappelle que vous pouvez payer pour bénéficier d’une meilleure expérience.

On voit donc s’appliquer un modèle économique libéral pour notre école : à partir d’une mission de service publique, la scolarité des enfants et les nécessaires échanges entre familles et enseignant·es, cette application arrive à imposer une dualité : dun côté, une expérience de base, gratuite pour tout le monde ; de l’autre, des avantages payants pour ceux et celles qui le peuvent et le veulent. Une scolarité de première classe et une scolarité de deuxième classe.

Déposséder de leur métier les enseignant·es

Démontons un postulat, celui de l’innovation pédagogique qu’induirait l’utilisation d’une telle application. Si on s’interroge un minimum sur l’application, on se rend compte qu’elle n’apporte rien de bien neuf : partager des photos de la vie de la classe, partager des travaux d’élèves via un site ou un journal papier, les enseignant·es font cela depuis bien longtemps dans les écoles.

Pour fonctionner et se faire connaître, cette application a été mise en avant par des enseignant·es blogueurs·euses sur leurs sites web. Ces enseignant·es sont ce qu’on appelle en marketing des influenceurs·euses : ils et elles touchent de larges communautés de personnes grâce au partage de leurs activités et travaux à destination des élèves. Ces enseignant·es sont souvent dithyrambiques sur l’application : « Klassroom me permet de communiquer quand je le souhaite, et d’où je le souhaite », dit Lutin Bazar.

Dans un contexte d’augmentation de la charge de travail chez les enseignant·es ces ressources partagées sont le plus souvent bienvenues. Mais nous ne devons pas oublier que loin de l’élaboration collective de dispositifs didactiques, ce prêt à consommer réduit notre esprit critique à peau de chagrin. Nous n’avons pas besoin d’une application pour travailler plus efficacement et être plus productifs·ives, nous avons besoin de temps pour élaborer nos outils et en rester maître.

« Le coronavirus, un choc d’innovation pour l’Éducation Nationale »

C’est le titre d’une tribune signée par la vice-présidente de Klassroom dans L’Express le 13 mars 2020. Le confinement permet à ces entreprises de rendre leurs produits indispensables pour la majorité des enseignant·es.

L’EdTech vante partout un choc d’innovation, comme si les enseignant·es n’étaient pas déjà en recherche, comme si ils et elles étaient coincé.e.s dans le passé. Les enseignant·es créent, construisent et innovent tous les jours.

Ce qui est vieux comme le monde c’est la capacité qu’ont certains vautours à toujours vouloir gagner profits et rentabilité sur le dos des services publics.

Dispositifs numériques : le ministère de l’Éducation nationale finance encore plus des multinationales

La crise sanitaire a été l’occasion pour le ministre Blanquer de présenter le tout-numérique comme une “opportunité”. Il s’agit bien évidemment d’une opportunité pour les entreprises transnationales qui voient dans le service public d’éducation un marché juteux.

Le “deal” signé par le ministère de l’Éducation national avec le géant du logiciel propriétaire Microsoft en 2015 est connu.

Comme ses prédécesseurs, Blanquer multiplie les initiatives favorables au secteur privé au détriment du service public.

C’est ainsi que la Cour des comptes dans son dernier rapport sur Parcoursup et la presse se sont fait l’écho de l’exploitation des données personnelles collectées par Parcoursup. Seule une association dirigée par un proche de Blanquer (Article 1) est en mesure d’accéder aux données, et bénéficie pour cela d’une subvention.

Aujourd’hui, la plateforme du Centre national d’éducation à distance (CNED) concentre également les inquiétudes. Le CNED sous-traite une large part de son activité à des prestataires notamment à l’entreprise Blackboard Inc. Si le CNED assure que les données des utilisateurs-utilisatrices sont hébergées “en Europe”, aucune information supplémentaire n’est disponible, et l’entreprise est muette sur sa conformité au Règlement européen relatif à la protection des données (RGPD). Qui plus est, les informations techniques dont nous disposons indiquent que les services sont exploités à partir des fermes de serveurs d’Amazon.

Blackboard est une entreprise capitaliste, leader sur le marché de l’éducation numérique. Ses intérêts sont clairement affichés par son dernier communiqué de presse, qui vante la capacité de l’entreprise à vendre des solutions d’enseignement à distance durant le mouvement contre la réforme des retraites et les perturbations des transports en commun provoquées par grève des salarié-e-s de la SNCF et de la RATP.

Le ministre invite donc les familles, les élèves, les enseignant-e-s à se connecter à une plateforme construite sur un logiciel propriétaire, sur lequel le contrôle de l’Éducation nationale est minimal. Il ne s’agit pas d’autre chose qu’une privatisation momentanée du service public d’éducation, sur fonds publics.

Pour SUD éducation, un service public d’éducation laïc, gratuit, et émancipateur n’est pas possible s’il dépend d’entreprises du secteur privé.
SUD éducation revendique la mise en œuvre de solutions logicielles libres hébergées en France sur des serveurs sous le contrôle complet de l’institution.