Le numéro de téléphone de la morgue passe par France Telecom…Qui sont les assassins ?
Lundi 28 septembre un travailleur de France Telecom s’est donné la mort près d’Annecy. Il a mis en cause dans un courrier son entreprise. Cette dernière venait de lui imposer une mobilité modifiant radicalement son activité professionnelle.
Jeudi 15 octobre, un ingénieur de France Telecom s’est pendu sur son lieu de travail, le 2e suicide à Lannion en peu de temps (le précédent a eu lieu dans la nuit du 29 au 30 août), le 25e en France depuis février 2008. Mardi 13 octobre, un employé de la même entreprise avait tenté de se suicider à Marseille.
Il s’agit d’une véritable hécatombe qui ne doit rien au hasard. Elle est le produit d’une politique volontariste de la direction de l’entreprise qui a sacrifié la santé de ses salariés aux impératifs des profits financiers et de la rémunération des actionnaires.
En 2004, Dominique Decèze auteur d’un livre sur France Telecom a répondu aux questions d’un journaliste de « Témoignage ». Il avait alors indiqué « que plusieurs études ont établi un lien scientifique entre les restructurations et la souffrance psychique des employés…De nouvelles méthodes de gestion ont été brutalement introduites par Michel Bon PDG de 1995 à 2002 : recherche de la performance, compétition entre salariés, conquête des clients(…)La direction a systématiquement cherché à détruire tout collectif de travail qui pouvait faire obstacle à la montée de l’individualisme. » Il a cité plusieurs exemples pour illustrer ses dires : « des personnes sans affectation parce qu’on leur refusait toujours des postes, un cadre muté 6 fois de suite en 5 ans sans raison, des couples séparés par mutation professionnelle… On a vu des services déménager à répétition dans un département, contraignant les employés à suivre. » Selon Dominique Decèze « France Telecom a servi de laboratoire à la première grande remise en cause de la Fonction publique. Cela préfigure ce qui risque d’arriver à la Poste ou à E D F.- G D F. La direction avait parfaitement conscience de ce qui se passait. Elle estimait que c’était le prix à payer. Il y a 6000 départs par an à France Télécom , se débarrasser des fonctionnaires par tous les moyens est une priorité. »
Dans un communiqué rédigé après le 23e suicide le syndicat SUD PTT déclarait avoir dénoncé sans succès auprès de la direction la souffrance généralisée des salariés d’Orange/FT. « Depuis de nombreuses années » ajoutait-il » les restructurations s’enchaînent sur fond de fermetures de sites, changements de métiers, plans de suppressions d’emplois. Parallèlement, l’organisation du travail est devenue complètement pathogène :contrôle permanent, individualisation à outrance, mise en concurrence des salariés, industrialisation totale des process…le travail a perdu son sens à FT/Orange. D’après l’Observatoire National du Stress mis en place par la CFE-CGC et SUD, l’objectif de la direction est d’atteindre 22000 départs en 3 ans.
Voilà ce qu’est devenue la branche téléphonique des PTT !
Privatiser un service public en effet signifie que l’objectif recherché n’est plus le service rendu aux usagers par l’Etat qui, malgré ses déficiences, défend néanmoins en partie l’intérêt commun. Seul compte désormais le rendement financier des actionnaires qui contrôlent par le biais du C.A. les nominations des dirigeants du groupe. Ces derniers sont choisis pour leur attachement à l’idéologie libérale et leur capacité à promouvoir un développement de l’entreprise lié aux intérêts des propriétaires que sont les actionnaires. Ils sont remerciés en conséquence par des salaires mirobolants, par des parachutes dorés exorbitants et par l’octroi de stock options. A France Telecom 25 millions de stock options ont été distribuées aux 800 managers et plus hauts dirigeants du groupe. Une façon supplémentaire de s’assurer leur subordination aux intérêts du marché.
Mais les usagers, devenus clients, ne sont pas les seules victimes de cette transformation de la philosophie de l’entreprise qui, de fait, ne s’intéresse plus qu’à la rentabilité de l’action. L’organisation du travail toute entière est chamboulée pour atteindre des objectifs qui n’ont que peu à voir avec le bien commun. Toutes les résistances collectives à cette nouvelle manière de voir les choses sont systématiquement broyées par un fonctionnement hyper hiérarchisé qui s’ingénie à isoler chaque travailleur et à briser l’autonomie de chacun. Une immense machine inhumaine dotée d’un pouvoir arbitraire s’installe. Chaque salarié, une épée de Damoclès au-dessus de la tête et un poignard au creux des reins est non seulement pressuré mais aussi toujours dans l’inquiétude de devoir changer de poste de travail ou bien de région. Logique violente qui n’hésite pas pour le bien des actionnaires à déstabiliser leur vie professionnelle et leur équilibre psychologique . Certains d’entre eux dans ces conditions n’ont plus la force de lutter et de vivre…
Triste et macabre bilan d’une politique rétrograde, soi-disant moderne, qui fleure bon le dix-neuvième siècle !