FORCES ET FAIBLESSES DE LA LUTTE CONTRE LA RÉFORME DES RETRAITES

23 mars, 27 mai, 24 juin…La mobilisation contre la réforme Woerth-Sarkozy des retraites se développe dès le printemps 2010. Le mouvement repart avec une nouvelle vigueur dès la rentrée. 7 et 23 septembre, 2 et 12 octobre… A chaque journée, pourtant trop éloignée de la précédente, la mobilisation prend de l’ampleur ou se maintient à un niveau élevé et trouve un appui grandissant dans la population…

Retour sur les forces et les faiblesses d’un mouvement exceptionnellement long et enraciné qui n’a pas fait plier Sarkozy mais qui a renforcé le syndicalisme de lutte des classes et préparé le salariat aux combats à venir

UNE MOBILISATION MASSIVE DU SALARIAT REJOINT PAR LA JEUNESSE SCOLARISÉE…

– Troisième séquence de lutte générale d’opposition à la réforme des retraites, après le mouvement de 1995 (contre la réforme des régimes spéciaux) et celui de 2003 (contre la réforme du régime général), la mobilisation du printemps-automne 2010 a mobilisé largement le salariat et la jeunesse en particulier au cours des manifestations de masse qui, cumulées, ont sans doute atteint un niveau de fréquentation rarement atteint par une lutte sociale en France.

  • Une mobilisation dans la durée : de la première « journée d’action », le 23 mars 2010, jusqu’aux dernières manifestations de grande ampleur fin octobre 2010, la mobilisation a été quasi-continue, à l’exception de la parenthèse des vacances d’été.
  • Des mouvements de grève reconductibles ont « pris » dans le secteur privé : chez les éboueurs, dans les transports, et surtout dans les raffineries. Dans certaines villes, la grève reconductible s’est élargie à des secteurs sans grande tradition de lutte, notamment parmi les employés, catégorie très féminisée. A Marseille par exemple, les salariés des Monoprix et des cantines scolaires ont été en pointe dans le mouvement de grève.
  • Le soutien de la population : de mars à novembre 2010, le soutien de la population à la lutte s’est affirmé, comme en témoigne la participation de plus en plus massive aux manifestations et, dans une moindre mesure les enquêtes d’opinion . C’est cette imposante popularité de la lutte qui a donné généralement une certaine impunité aux actions de blocage économique, bien que celles-ci aient été conduites par des groupes aux effectifs réduits. La légitimité acquise grâce au soutien populaire au mouvement, a amené le gouvernement à rapidement renoncer à sa tentative de stigmatiser la présence des lycéens dans les manifestations.
  • Un début de jonction avec la jeunesse scolarisée et massifiée : la mobilisation s’est étendue des salariés vers les lycéens et dans une moindre mesure, vers les étudiants. Cette dynamique est nouvelle : en 1986 et 1995, les mobilisations de la jeunesse scolarisée avaient préfiguré celles des salariés ; pendant le mouvement anti-CPE en 2006, le conflit avait d’abord pris dans le monde de l’école, et plus précisément dans les universités. La lutte de l’automne 2010 met ainsi en évidence la capacité de mobilisation générale du salariat ; la jeunesse scolarisée et massifiée a été capable de se mobiliser sur des enjeux qui ne sont pas directement liés à l’école, même si c’est encore sur une durée limitée.
  • La durée exceptionnelle du mouvement a favorisé son ancrage territorial, l’auto-organisation à l’échelle locale et le développement de pratiques de lutte interprofessionnelles permettant, parfois, de transformer l’hétérogénéité des acteurs de la lutte en force dotée d’une grande mobilité tactique. Les actions de blocage économique ont fédéré des salariés aux statuts très divers (travailleurs en CDI, travailleurs précaires, fonctionnaires), des chômeurs, des lycéens, des étudiants et des retraités. Elles ont également permis de bloquer certains flux de transports, qui sont l’un des points névralgiques de l’économie capitaliste.

…QUI N’EST PAS PARVENUE A CONSTRUIRE UNE DYNAMIQUE DE BLOCAGE GENERAL DE L’ECONOMIE

  • Le secteur public moins combatif que dans les précédents mouvements : principaux moteurs des luttes interprofessionnelles depuis 1995 (SNCF et éducation nationale, mais aussi La Poste, EDF-GDF…), les salariés des entreprises publiques et des administrations ne sont pas parvenus à construire des mouvements de grève reconductible suffisamment larges. Côté enseignants et cheminots, l’échec des mobilisations précédentes – et singulièrement 2003, en ce qui concerne l’Education Nationale – a pesé sur les anticipations de nombreux salariés ; par ailleurs les dispositifs juridiques et techniques antigrève mis en place ont produit leurs effets ( la loi du 21 août 2007 sur le service minimum entrave désormais l’arrêt des transports urbains et ferroviaires, en imposant notamment l’obligation individuelle de se déclarer en grève 48h à l’avance ; à la Poste la mécanisation des centres de tri a érodé le pouvoir de blocage des équipes syndicales qui y étaient traditionnellement très implantées).
  • Les actions de blocage économique sont aussi le reflet de la faiblesse de la grève dans le secteur privé. Le blocage d’entreprises par des militants qui leur étaient extérieurs était également le signe de la position de faiblesse des salariés au sein des entreprises. Le peu de grève reconductible dans le privé est aussi à mettre en relation avec la faiblesse de l’ancrage syndical : environ 6 % des salariés du privé sont syndiqués, pour l’essentiel dans des grandes entreprises. Avec un taux de syndicalisation de l’ordre de 40 %, les raffineries font plutôt figure d’exception.
  • La stratégie perdante de l’intersyndicale nationale : le maintien d’une unité intersyndicale nationale s’est fait au prix d’un alignement sur la stratégie de la CFDT : des journées d’action à saute-moutons, jamais d’appel à la grève générale, même pas à une grève de 24 h, et pas de soutien net aux grèves reconductibles alors en cours, pas de mot d’ordre clair de retrait du projet de loi, une mise à distance douteuse des actions les plus radicales (à l’instar du communiqué du 21 octobre qui invoque le « respect des biens et des personnes »).

RENFORCER LE SYNDICALISME DE LUTTE

Sud-Education a jeté toutes ses forces dans la bataille. Dans la plupart des départements, nous avons participé activement aux mouvements de grève reconductibles dans nos établissements respectifs ainsi qu’à des Assemblées générales départementales interprofessionnelles ou de l’éducation. Nous nous sommes également pleinement investis en agissant au sein de Solidaires et en apportant notre contribution aux actions de blocage économique.

Au final, la dynamique de la lutte, mais également l’issue de celle-ci, ne peuvent que renforcer notre volonté collective de poursuivre la construction patiente dans l’éducation et ailleurs, d’un syndicalisme de lutte des classes, un syndicalisme qui se donne les moyens de remporter les batailles sociales décisives, un syndicalisme qui promeut une émancipation à la fois individuelle et sociale.