c’est dès le début qu’il faut réagir !
Les techniques de harcèlement deviennent monnaie courante dans les méthodes de management, avec les graves conséquences qu’on sait. Malgré leur illégalité, les responsables s’en servent parce qu’ils profitent de l’ignorance des salariés sur ce sujet et qu’ils jouent sur la distinction ténue entre exercice de l’autorité et abus d’autorité.
C’est la « loi de modernisation sociale » du 17 janvier 2002 (gouvernement Jospin) qui a défini en quoi consiste le délit de harcèlement moral. Dans le code pénal c’est l’art. L 222-33-2 et dans le code du travail les actuels art. L 1152-1 et suivants. Pour les fonctionnaires, c’est devenu l’art. 6 quinquies de la loi 83-634 dite Le Pors du 13 juillet 1983.
Les tribunaux reconnaissent très peu de cas de harcèlement moral. Principalement parce que les preuves ne sont pas faciles à apporter. Le harcèlement est caractérisé d’abord par ses effets, mesurables ou attestés selon les cas (§1). Mais qu’en est-il des causes ? « des agissements répétés … » : la difficulté est d’établir la réalité de ces agissements (§2), notamment des confrontations ou humiliations qui ont rarement lieu en public. Autre difficulté, les procédures contentieuses, claires en droit (§3), ne sont pas simples en fait. Mais si on prépare bien son dossier, il doit être possible d’empêcher le harceleur de continuer ses manœuvres (§4), voire de le poursuivre, lui, ET sa hiérarchie fautive. A condition de prendre les choses à temps (§5).
La loi définit ce qu’est le harcèlement : humiliations ou brimades plus ou moins visibles (ségrégation, dénigrement, refus d’avancement, invectives etc.) à condition qu’elles soient répétitives. L’art. 6 quinquies dit notamment :
« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Le harcèlement se caractérise donc par :
1) la répétition d’agissements. « Agissements » signifie un ensemble d’actes blâmables qui manifestent une volonté. Il s’agit des actes d’une personne, pas ceux d’une organisation.
2) dont les conséquences touchent la relation de travail : désorganisation, surveillance tatillonne, humiliations
3) et créent des dommages au salarié. Placardisation, mise en cause de l’honnêteté, altération de la santé…
Peut-on en déduire que dès qu’un salarié voit ses conditions de travail ou sa santé altérées suite à de mauvaises relations avec son supérieur, il y aurait harcèlement ? Ce n’est pas si simple, car il faut pouvoir établir un « lien de cause à effet » entre « agissements » et « altération de la santé ». En clair apporter les preuves du harcèlement…
Si le harceleur n’est pas trop futé, il laisse des traces : altercations, calomnies ou brimades faites en public. Le problème est alors de convaincre les témoins de témoigner : la loi les protège… mais le courage manque souvent.
Le harceleur peut aussi agir discrètement, seul face à sa victime : auquel cas il faudrait arriver à lui faire répéter devant témoin (par exemple un élu syndical) ce qu’il aurait dit précédemment en « privé » au harcelé.
Dans tous les cas, il faut aider le harcelé à noter consciencieusement et précisément TOUT ce qui lui paraît ressortir du harcèlement : le jour, l’heure, la situation, les phrases, les réactions du harceleur, les noms de toutes les personnes présentes (à faire signer le plus tôt possible) … Souvent la victime hésite ou n’a plus l’énergie de faire face, mais ce travail est indispensable : sans cela, il sera difficile pour l’autorité, ou le médiateur, ou pour le juge, de disposer des « débuts de preuve » en recoupant ces descriptions avec d’autres éléments.
C’est souvent par absence de preuves que les recours basés sur l’article 6 quinquies aboutissent rarement. C’est pourquoi informer les collègues et témoins potentiels sur la loi et la situation du harcelé est indispensable.
Enfin les médecins peuvent établir des attestations de « mise sous emprise » en cas de dépression …
Ces preuves suffisent-elles ? Il faut ensuite envisager la procédure …
En droit administratif, le principe veut qu’il n’y ait d’action contentieuse possible que par la contestation d’une décision. Le recours contre une décision peut se faire de 2 façons : « hiérarchique » (en interne, en demandant au niveau hiérarchique supérieur d’annuler la décision contestée), ou « de plein contentieux » (tribunal administratif).
Or souvent, un harcèlement ne résulte pas d’une décision, mais d’un ensemble de faits. Comment agir ?
En l’absence de décision attaquable, on peut d‘abord tenter de transiger avec le harceleur. Si les faits sont bien établis et irréfutables, l’administration cherchera à éviter par la suite une procédure qui ternirait sa réputation : elle proposera de transiger. Toutefois les sanctions disciplinaires contre le harceleur sont rares : la hiérarchie protège la hiérarchie. Dans la plupart des cas, elle fera corps contre la victime et le recours devient incontournable. Mais alors, le harceleur ET son supérieur hiérarchique qui n’a pas voulu prendre les mesures préventives ou les sanctions nécessaires risquent des sanctions pénales.
Pour mettre en œuvre la « protection fonctionnelle » de l’art. 11 de la loi Le Pors, le harcelé peut d’abord demander une enquête administrative à son autorité hiérarchique. L’art. 11 dit : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ». Il s’agit donc de protéger les agents publics des faits de tiers mais aussi d’autres fonctionnaires. Depuis l’arrêt du 12 mars 2010 du Conseil d’Etat (n° 308974, Commune de Hoenheim), le harcèlement moral figure maintenant au nombre des agissements visés par l’article 11. En clair le supérieur hiérarchique du harceleur qui fait procéder à l’enquête, DOIT le cas échéant, prendre des mesures pour faire cesser le harcèlement, sinon il se trouve lui-même en faute. Le rapport qui résultera de l’enquête correspond à une décision au sens administratif. Dès lors soit le rapport impose au harceleur de cesser son comportement (et c’est gagné, ou quasiment) soit il ne le fait pas et devient une décision attaquable.
Le recours administratif gracieux contestant le rapport, et réclamant la protection fonctionnelle ET des sanctions disciplinaires AVEC demande d’indemnités, doit être déposé par la voie hiérarchique dans les 2 mois suivant la date de communication du rapport. On appelle cela un « recours préalable », parce qu’il DOIT précéder l’étape suivante, souvent nécessaire, qui est l’action en justice. A son tour, l’administration dispose de 2 mois pour répondre. Les questions de délais et de prééminence des décisions sont complexes, mais gérables.
Le recours contentieux (devant tribunal administratif) se fait à nouveau dans un délai de 2 mois après réponse ou absence de réponse de l’administration. Attention : les arguments de cette procédure sont « liés » (identiques) à ceux de la procédure administrative. Dès le départ il ne faut donc rien oublier.
Un recours en tribunal pénal est possible, mais n’est à utiliser qu’en dernier ressort : en effet une décision négative ruinerait toute chance dans les autres procédures.
On le voit : une bonne préparation de dossier avec une mobilisation peuvent suffire à rétablir les droits du salarié victime et faire cesser les comportements abusifs du harceleur. Par le fait que le harcèlement soit un délit, et pas seulement une faute civile ou contractuelle, la crainte d’une mise en cause pénale du fautif (même si la procédure est longue) peut l’amener à calmer ses ardeurs. Pour la carrière d’un cadre intermédiaire, toute publicité judiciaire est rarement positive. Quand la jurisprudence reconnaît le harcèlement, elle le caractérise souvent comme le fait d’avoir « excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. »
Pour la victime : faites-vous accompagner et défendre
N’hésitez pas à impliquer un syndicat dès le début. Il vous faut des alliés, qui pourront vous aider à vous défendre. Demandez par lettre à votre chef de service une visite médicale de prévention EN URGENCE. Allez-y avec un certificat médical de votre médecin traitant faisant le lien entre votre souffrance et vos conditions de travail. Puis rédigez un courrier que vous remettrez au médecin de prévention dans lequel vous rapporterez les faits, et uniquement les faits, dont vous avez été victime. Lors de cette visite, faites-vous accompagner d’un délégué (élu) car les faits concernent la collectivité de travail. Cette lettre fera partie de votre dossier médical et le médecin sera dans l’obligation d’agir dans votre intérêt en proposant un « plan de prévention » à l’employeur, pour faire cesser le harcèlement. Si cela ne suffit pas, il faudra exercer les recours en vous basant sur les témoignages des collègues.
Pour le syndicat : rendez votre action visible.
- Affichez les articles L1132-1 et s. et l’art. 6 de la loi 83-634. Distribuez cet article sur le harcèlement,
- Adressez une lettre ouverte à la direction avec rappel de la loi
- Organisez une délégation déterminée auprès du harceleur qui lui demande de cesser ses agissements,
- Constituez pour les salariés un « cahier de surveillance » pour relater les faits et paroles, datées et signées : le mettre sous clé et/ou le photocopier au fur et à mesure.
- Demandez à être reçu collectivement par le niveau hiérarchique supérieur (rectorat…) pour que cela cesse en exposant les faits et demandez une réponse rapide.
- Le harcelé ne doit pas sous-estimer le risque et les indices :
- vous vous faites « charrier » par un supérieur qui vous humilie devant vos collègues, ceux-ci semblent gênés en votre présence ou vous évitent…
- des informations ont été destinées à vos collègues mais pas à vous ; on a omis de vous signaler une réunion
- votre supérieur vous a reproché plusieurs fois des faits bénins en les érigeant en faute ; il vous a retiré une fonction ou une tâche habituellement attribuée, ou qui vous avait été promise …
- Ne pas croire que l’affaire s’éteindra d’elle-même.
On peut être tenté de ne pas en parler pour ne pas aggraver les choses : Ne courez pas ce risque ! Le harceleur s’arrête rarement de lui-même. Trop souvent on agit quand les conséquences sont déjà graves : insomnies, stress, congés maladie, incapacité à communiquer avec les collègues, les amis et la famille, agressivité ou autodestruction. - Ne pas prétendre régler l’affaire par ses propres moyens
Un simple entretien ramène rarement le harceleur à la raison ! Proposez une rencontre pour une explication franche mais jamais seul : rien ne l’empêche de NIER d’avoir insulté, humilié, tenu des propos violents et dégradants. Sinon vous risquez sous le coup de la colère de vous confronter à lui, de déraper vers des propos outrageants, l’insulte. Contre un supérieur, tous ces faits seraient retenus contre vous et compromettraient vos droits.
Quelques liens :
Blog de Christelle Mazza, avocate, : http://www.actes-types.com/blog/christellemazza
Site des métiers du droit : http://www.village-justice.com/articles
Site de l’Institut de Santé au Travail du Nord : http://www.istnf.fr/site/Themes/detail.php?fiche=4973