Le Congrès de Cherbourg de Sud éducation a adopté les propositions qui suivent. Elles constituent davantage un programme de travail que des réponses clés en mains aux questions qu’on peut se poser sur l’école. Ces propositions complètent les textes définissant les orientations fondamentales de Sud éducation, définies par nos congrès successifs. Elles prolongent notamment le texte de référence adopté en 2006 au Congrès de Clermont-Ferrand.
QUELLE ECOLE ?
Bien entendu, nous sommes tous d’accord pour affirmer que l’école ne saurait radicalement évoluer sans un changement radical de société. Mais deux raisons essentielles militent en faveur d’un projet d’école clairement affirmé.
L’école actuelle est certes le produit et le reflet de la société dans laquelle nous sommes, mais elle a aussi son histoire propre, en tant que lieu institutionnel et en tant qu’espace social. Elle est donc soumise à des contradictions qui sont pour certaines partagées par l’ensemble de la société et pour d’autres spécifiques. Les contradictions du système capitaliste ont permis le succès des luttes menant à l’adoption de revendications politiques et syndicales progressistes, dont le droit à l’éducation pour tous. Dans les circonstances actuelles, ce droit à l’éducation pour tous et toutes est violemment remis en cause, au nom d’une idéologie qui prône un retour à des valeurs élitistes et défend des objectifs de rentabilité immédiate. Se cantonner, comme d’autres syndicats le font, à la défense de l’existant serait suicidaire, parce qu’il n’est pas de lutte efficace sans perspectives concrètes et sans contre propositions à opposer au pouvoir et à proposer au personnel éducatif.
À la question « quelle école voulons-nous » ? nous répondons donc : une école pour tous et pour toutes, qui soit à la fois éducatrice et émancipatrice, ouverte et coopérative, et structurellement repensée.
Cette conception implique la poursuite de débats et interrogations : parler des missions de l’école, c’est parler des statuts et des activités de l’ensemble constitué par les personnels, les élèves, les parents et les différents acteurs de l’institution ; parler du contexte éducatif que nous souhaitons, des idées que nous défendons prioritairement par rapport aux transmissions du savoir et aux acquisitions de connaissances, de la conception du métier que nous avons. Mais c’est aussi parler des contingences matérielles, de l’organisation du temps et de l’espace, de la transformation des modalités de l’apprentissage, de la démocratie au quotidien et poser la question de l’évaluation.
Les débats et interrogations doivent s’appuyer sur les expériences pédagogiques alternatives en cours.
SUD Éducation doit soutenir les expériences alternatives qui vont dans le sens de l’école que nous voulons. Notre projet syndical va plus loin et revendique la généralisation d’un système alternatif éducatif lié à une transformation sociale.
Toute école alternative ne peut être réalisée dans le cadre de la précarisation des personnels éducatifs qui, du point de vue pédagogique ne permet pas de travail suivi. De plus, une école nécessite des effectifs réduits tant dans les classes que dans des établissements à taille humaine.
Une école pour tous et pour toutes, c’est une école qui refuse la sélection et la hiérarchisation des savoirs
L’école que nous voulons est une école pour toutes et tous, qui permette de s’épanouir et de prendre en compte la diversité des élèves. La situation actuelle, l’école du tri social, où il est demandé à l’élève de s’adapter à un système complexe, est inacceptable : rythme scolaire imposé, programmes trop normatifs, cloisonnement des disciplines, exercices très formalisés, un système de notation stigmatisant, le tout ponctué par des orientations précoces.
Aujourd’hui l’organisation de l’école est au service d’une hiérarchie bien établie des filières imposées (dévalorisation des filières dites professionnelles, valorisation des grandes écoles) reposant sur des savoirs et des savoirs faire eux-mêmes hiérarchisés.
Il faut donc une école refondée où le maximum de capacités seront développées, où l’évaluation sera valorisante et l’orientation plus tardive et autonome. Cette école ne peut se limiter à une relation enseigné-e-s/enseignant-e-s et nécessite l’intervention d’autres acteurs pour répondre aux besoins de toutes et tous.
Une école pour tous et pour toutes repose sur la laïcité, c’est à dire, sans établissements privés, sans main mises du politique, du religieux et de l’entreprise sur l’école.
Un des acquis historiques du système éducatif français repose sur la laïcité, dont certains aujourd’hui demandent l’« assouplissement ». La défense de la laïcité se doit d’être sans concession. En ce sens, on ne peut que refuser le financement du système éducatif par les collectivités locales. SUD Éducation est pour la nationalisation de toutes les écoles privées dans un seul service public d’éducation.
Une école pour tous et pour toutes, c’est une école solidaire et équitable
La solidarité implique un statut unique pour les enseignants et un traitement égalitaire en matière de salaire pour tous les acteurs professionnels de l’école. Elle implique aussi le refus de la concurrence entre établissements et le refus de l’exclusion (en premier lieu, le maintien, au moyen de structures spécialisées, des « décrocheurs » dans le système scolaire).
Nous préférons le terme équité au terme égalité, parce que ce dernier cache derrière les pieuses déclarations d’intention la réalité d’une école sélective qui non seulement reproduit les schémas sociaux du système de pensée dominant mais encore en aggrave les effets. Une école équitable serait une école organisée pour offrir une égalité des droits, quel que soit l’établissement et quelles que soient les origines et les situations des élèves : une école qui mettrait en œuvre des traitements diversifiés et adaptés en fonction des situations, avec plus de moyens pour les zones et les élèves défavorisés.
Une école pour tous et pour toutes, c’est une école qui offre une formation polyvalente
S’il existe effectivement un « socle commun des connaissances » dont la nature est à redéfinir, il reste que ce socle commun ne doit pas jouer son rôle sélectif actuel. Le système doit s’adapter aux capacités potentielles des élèves et non le contraire. Autrement dit : il doit y avoir diversité des propositions de formation, afin que les élèves puissent s’ouvrir au maximum de connaissances et au maximum de possibilités d’orientation future, y compris dans les spécialités dites manuelles. Dans cette formation, l’enseignement professionnel, technique et manuel a toute sa place (autrement dit : on ne peut le laisser aux entreprises), à condition que les liens soient forts entre les enseignements généraux et les enseignements professionnels.
Pour que l’école soit démocratique, il faut une communauté éducative
Même si nous savons que la solidarité ne se décrète pas et que la vie en commun est le reflet des rapports sociaux dominants, force est de constater que les établissements scolaires sont de plus en plus soumis à une hiérarchisation intense des rapports, sous couvert de management. La seule réponse possible est de favoriser au maximum l’existence d’une véritable communauté éducative. Une telle volonté implique d’abord l’intégration de la concertation (associant tous les membres de cette communauté) dans les services des personnels et les emplois du temps des élèves, ainsi que des moments de rencontre avec les parents et les intervenants extérieurs.
En ce qui concerne l’émancipation, il s’agit bien de développer l’autonomie des élèves, leur aptitude à surmonter les contraintes, leur esprit critique, leur appropriation du savoir, et finalement de les aider à faire les meilleurs choix possibles pour eux en fonction de leurs intérêts. Mais ce développement personnel ne peut se faire que dans un cadre de sociabilisation intense, en développant le travail de groupe, la solidarité entre élèves, les projets créatifs et culturels, c’est à dire le contraire de l’école utilitaire et individualiste qu’on nous impose.
L’école doit permettre l’ouverture des connaissances à la culture, aux échanges et à la recherche
Par culture nous n’entendons pas bien entendu la culture dite bourgeoise, même si en un sens la généralisation de l’éducation pour tous a permis aux classes moyenne de se l’approprier en partie. Aujourd’hui, la diversification et la massification des accès à la culture, en particulier la télévision et internet, permettent le partage et la diffusion des ressources de tous ordres, mais demandent aussi une éducation à la recherche documentaire. L’esprit critique n’est en effet pas dissociable de la culture générale, et il est donc normal que les acquis culturels soient privilégiés par rapport à la rentabilité du résultat. En ce sens, l’interdisciplinaire, avec une formation et des moyens adéquats, peut-être une piste prolifique. Par la gratuité, il faut que l’école permette à tous les élèves (quels qu’ils soient et où qu’ils soient) de rencontrer des artistes, de fréquenter des lieux d’art, de participer à des projets de création. Les échanges linguistiques et culturels doivent être favorisés. Le lien avec la recherche, actuellement le plus souvent inexistant doit être assuré, autant en ce qui concerne les savoirs que les pratiques pédagogiques.
L’école doit être le lieu d’une responsabilité partagée
Dans le même temps où on appelle les acteurs de l’éducation à faire preuve d’initiatives, on fait tout pour les infantiliser. « L’évaluationnite » a pénétré en profondeur l’éducation nationale : la notation des établissements est entérinée par le ministère et les journaux, les évaluations systématiques des élèves servent aussi à évaluer les enseignements, les projets d’établissement deviennent des panels de contraintes, la note de vie scolaire se contente de punir des comportements. La prise de responsabilité des membres de la communauté éducative se gagne, certes, au jour le jour et avec ténacité, mais elle doit aussi être facilitée par l’application d’une véritable démocratie.
Une école permettant une pédagogie active
L’école ne peut plus fonctionner sur le modèle autoritaire qui apparaît comme le modèle de référence. Il faut dépasser la transmission unilatérale du savoir et mettre en place des méthodes pédagogiques plus actives, ce qui implique des activités moins formalisées, des productions plus personnelles et des modes d’évaluation différents. De même, les méthodes d’apprentissage doivent permettre l’entraide et le travail de groupe plutôt que favoriser compétition et élitisme.
La première restructuration de l’école serait la démocratisation des rapports sociaux qui y sont instaurés : autogestion des écoles, des collèges et des lycées par les personnels et les élèves. Une telle affirmation revient à dire que l’école ne se définit pas uniquement comme un lieu d’enseignement, mais aussi comme un lieu de socialisation.
Enfin, le droit à des expériences alternatives doit être affirmé.
L’ensemble de ces propositions n’est ni exhaustif ni figé. Il s’inscrit dans le travail d’une commission fédérale mise en place lors du congrès de Clermont. Il pose un cadre de réflexion collective et esquisse un projet d’école alternative. Loin d’être achevés, ces travaux doivent être poursuivis et affinés pour le prochain congrès. Plusieurs pistes de travail semblent ressortir :
les missions de l’école ;
statut et nature des personnels ;
administration, gestion, place des personnels et des élèves dans l’établissement ;
liens avec l’extérieur (parents, organismes, contenus pédagogiques, intervenants artistiques, etc.) ;
apprentissages, modalités d’apprentissage, d’évaluation et d’orientation adaptées à la diversité des élèves ;
école solidaire et égalitaire et Nouvelles Technologies…